Oui, le sport peut être un puissant levier de développement en Afrique
English Synopsis:
Last month’s African Cup of Nations has generated global enthusiasm and an outpouring of African patriotism, and other important sporting events are taking place on the continent, from South Africa’s hosting of the 2010 FIFA World Cup to Senegal’s hosting of the 2022 Summer Youth Olympics. Next year, the prestigious American National Basketball League (NBA) will be launching an Africa League comprising twelve teams from around the continent.
African countries are adapting to take advantage of the economic opportunities associated with global sporting events. Côte d’Ivoire has a law to improve sports governance, Togo has hosted the first African Sports Forum, and Senegal has inaugurated several world-class sports facilities, including a 50,000-seat Olympic stadium in the new city of Diamniadio. But African nations need to regard sports as more than a form of entertainment and a physical discipline: it can be an important vehicle for both economic development and social cohesion, and one that is especially accessible to Africa’s burgeoning youth population (70 percent of Africa’s population is under the age of thirty).
In the United Kingdom, it is estimated that sports activities add 1.7 percent to GDP (comparable to that nation’s automotive industry), contributing 29 billion euros to the UK economy between 2010 and 2015 and supporting around 400,000 full-time jobs. There are budget benefits as well: people who regularly participate in sports cost between £1,750 and £6,900 less in health care costs per year. And English students engaged in sports activity achieve an average 8 percent higher academic results than their sedentary peers. Globally, sports contribute approximately 2 percent to GDP. Some countries, such as Brazil, have even succeeded in turning sporting events into a driver of tourism. International sporting events shine a global spotlight on host countries and can generate enviable profits: for example, UEFA Euro 2016 cost France around $200 million to host, but generated nearly €1.22 billion in return, about half of which came from increased tourism. The Olympic Agenda 2020, which was adopted in December 2014, explicitly encourages cities to account for economic and human development benefits when constructing their bids to host future games. And yet, with few exceptions, nations and multilateral institutions alike have been slow to adopt strategies that embrace sports as a vehicle for development.
African nations (especially South Africa, Nigeria, Ethiopia, Côte d’Ivoire, and Senegal) can lead in this regard, but they need institutional and regulatory frameworks that support them. Sporting components need to be integrated into international development programs and politicians needs to promote private investment in nations where the central government is the sole provider for national teams. School federations and leagues would greatly enhance educational outcomes, too, and could provide a vehicle for correcting regional infrastructure imbalances and mentoring to vulnerable populations, like girls. But the full economic benefits (in education, job creation, tourism, marketing, and so forth) will be only be realized when sport starts being treated as the important market that it is.
En Français :
« Le sport a le pouvoir de changer le monde. Il peut créer de l’espoir où il n’y avait avant que du désespoir. », Nelson Mandela.
C’est peu dire que la Coupe d’Afrique des Nations, déjà réputée pour sa qualité sportive, a atteint cette année une réputation universelle, déclenchant un enthousiasme digne de celui suscité par la Ligue des Champions et les grandes manifestations sportives internationales. Non pas tant à cause de l’affiche -certes exceptionnelle autour de deux grandes nations africaines du football que sont le Sénégal et l’Algérie- mais surtout parce que, depuis plusieurs années, évoluent dans ces équipes des joueurs évoluant dans les plus grands clubs professionnels du monde. Le fait qu’ils choisissent de porter le maillot national, là où, il y a quelques années, les joueurs, pour des raisons pratiques et financières, préféraient la naturalisation, a ajouté à la ferveur qu’ils ont déclenchée auprès des supporters. A travers eux, c’est l’Afrique qui s’affirme sur la scène sportive internationale.
Cette consécration de l’Afrique par le sport, en particulier le plus populaire à travers le football, fait écho au réveil économique et culturel d’un continent, qui après avoir été longtemps à la remorque de la croissance mondiale, en est désormais le moteur.
Au-delà de la Coupe d’Afrique des Nations, des événements sportifs internationaux de plus en plus importants et variés s’organisent sur le continent, comme les Jeux de la Francophonie, l’Africa Tour en cyclisme, la Coupe du monde de la Fifa 2010 par l’Afrique du Sud et les Jeux Olympiques de la Jeunesse par le Sénégal en 2022. La très prestigieuse Ligue américaine de basket-ball, la NBA, lance à partir de 2020 une Basket Africa League, un championnat de basket africain autour de 12 équipes venues de toute l’Afrique, promettant de grandes retombées économiques. Toutes ces initiatives démontrent la capacité des pays africains à accueillir des événements de grande envergure et la volonté du continent noir de faire émerger progressivement un marché du sport africain plus conforme aux standards internationaux. La Côte d’Ivoire a ainsi adopté en 2014 une loi visant à favoriser de nouveaux modes de gouvernance, d’organisation et de financement du sport ivoirien, afin de l’adapter aux enjeux du sport professionnel. Le Togo a accueilli en août 2017 le premier Forum Africain des Sports pour valoriser le potentiel du sport africain dans le développement humain. Le Sénégal a inauguré l’année dernière des équipement sportifs dernier cri comme l’Arène nationale de lutte de Pikine, l’Arena Dakar et bientôt un stade olympique de 50.000 places dans la ville nouvelle de Diamniadio.
Le sport ne saurait être limité à sa dimension de simple divertissement. Il n’est pas qu’un loisir ou une pratique physique. Il est aussi une activité de santé, un mode de formation, un espace de compétition, un marché économique, un moyen d’aménagement du territoire, un instrument de mobilisation pour un pays. Véhiculant des valeurs de discipline, de tolérance, d’effort, de respect, il s’affirme comme un outil crucial de cohésion sociale, un moyen éducatif puissant et un levier de transformation économique prometteur capable de contribuer à la résorption du phénomène massif d’exclusion des jeunes.
Aussi, il a le potentiel pour constituer un puissant levier de développement sur le continent le plus jeune de la planète où 70% de la population a moins de 30 ans. Parmi eux de grands passionnés de sport et de potentiels champions qui pour les plus talentueux finissent par migrer vers les pays du Nord, sans faire bénéficier leurs pays d’origine de leurs mérites, y compris les centres de formation qui les ont détectés.
Au-delà des champions, l’enjeu reste le sport de masse et ses débouchés économiques. Ceux-ci dépendront bien évidemment de la capacité du continent africain à garantir à cette jeunesse, qui représente 60% des chômeurs africains, une formation dans laquelle le sport peut jouer un rôle non négligeable et des emplois dans ce domaine via la création d’un marché économique.
Pour faire face, les initiatives à destination de la jeunesse ne manquent pas : service national de la jeunesse (Ghana), enseignement technique et formation professionnelle (Maurice), fonds pour les jeunes entrepreneurs (Sénégal, Zambie), programme d’acquisition de compétences et d’aide à la création d’entreprise dans le cadre du Service national de la jeunesse (Nigéria) et bien d’autres encore.
Et le sport ? L’idée que le sport soit un levier de développement ne fait l’objet d’aucune prise de conscience sérieuse, y compris dans les pays riches à l’exception de certains pays anglo-saxons comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, où le sport est traditionnellement un vecteur d’excellence et de promotion sociale dans la formation universitaire. Ainsi, selon la dernière étude en date sur le sujet (juillet 2015), on estime que la valeur ajoutée des activités sportives au Royaume-Uni représente 1,7 % du PIB, le chiffre d’affaires du secteur sportif étant comparable à celui des secteurs automobile et alimentaire. Selon cette étude, l’ensemble des activités sportives ou en lien avec le sport aurait contribué depuis 2010 pour environ 29 milliards d’euros à l’économie britannique et supporté la création ou le maintien de 400.000 emplois à plein temps, soit 2,3 % des emplois nationaux. En matière de santé, la pratique d’une activité sportive régulière pourrait ainsi permettre d’économiser entre 1.750 et 6.900 livres par personne (2.500 à 10.000 euros). Sur le plan scolaire, les jeunes Anglais pratiquant une activité sportive obtiendraient en moyenne des résultats scolaires de 8 % supérieurs aux résultats des non pratiquants.
A l’échelle mondiale, un cran a été franchi : avec près de 1 200 Mds €, le sport génère aujourd’hui à lui seul près de 2% du PIB mondial pour une croissance moyenne de 4%, selon Etude Statista 2017. Selon cette enquête, le fort développement s’explique notamment par l’émergence de nouveaux marchés en Asie-Pacifique (+4,6 % de croissance moyenne annuelle sur la période 2014 -2015) avec des pays extrêmement actifs comme la Chine dont le marché enregistre une croissance annuelle moyenne de + 6,1 % et l’Inde avec + 7,6 %.
Certes, le sport n’a jamais, à lui seul, développé un pays mais il peut être, associé à un marché dynamique, un secteur d’exportation voire le premier comme il l’est au Brésil, porté par des grands événements sportifs de ce marché en pleine expansion. Ainsi, toujours selon l’étude citée plus haut, avec plus de 16 mds$ investis au Brésil pour les JO2016, 30 mds$ estimés pour celle de 2018 en Russie et plus de 187 mds$ d’investissement attendus pour la coupe du monde 2022 au Qatar, ils permettent aux pays organisateurs de rayonner dans le monde et d’enregistrer des opérations économiquement très rentables. Si l’Euro 2016 a coûté à la France environ 200 millions d’euros, il lui a rapporté près de 1,22 mds€ dont 625,8 millions d’euros pour le tourisme.
La communauté internationale, elle, est en retard. Au cours de l’année 2018, la visite du Président Obama au Centre sportif kenyan Sauti Kum ou l’initiative française « Plateforme de transformation par le sport » de 15 millions d’euros ont certes mis en lumière ces vertus liées au sport. Mais il a fallu attendre décembre 2014 avec l’adoption de l’Agenda olympique 2020, qui encourage les villes à prendre en compte le développement économique et humain, au-delà de la dimension strictement sportive de leur candidature à l’organisation de Jeux olympiques, pour qu’une prise de conscience s’affirme timidement.
Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) des Nations-Unies dans les années 2000, le rapport de l’ONU sur le sport au service du développement et de la paix en 2003 et enfin la prise en compte du sport dans les Objectifs de développement durable à l’horizon 2030 ont constitué de lentes avancées, bien en-deçà du potentiel inexploité du sport en matière de développement.
L’utilisation du sport comme outil de développement peut être une chance pour l’Afrique mais suppose néanmoins de nombreux préalables dépendants de la volonté politique des dirigeants et de l’organisation sportive de leurs pays.
Or, l’on observe des différences notables entre pays africains, de grandes nations sportives se distinguant dans les grandes compétitions internationales (Afrique du Sud, Nigéria, Ethiopie, Côte d’Ivoire, Sénégal notamment). Mais même pour celles-là, seules des politiques publiques vigoureuses permettront de faire du sport un outil sérieux de développement.
A commencer par l’institution d’un cadre institutionnel et réglementaire permettant par exemple d’intégrer, du côté des bailleurs de fonds, un volet sport dans les programmes de développement et, du côté des Etats eux-mêmes, un code du sport permettant d’organiser les missions des acteurs du sport (Etat, collectivités locales, fédérations, clubs, associations etc) et de favoriser les investissements privés dans des Etats où, souvent, le pouvoir central est le seul à financer le sport (au demeurant les équipes nationales qualifiées).
Ensuite, au regard des effets favorables du sport dans les politiques éducatives, il apparaît fondamental d’organiser des fédérations scolaires et de les aider dans leurs missions (en facilitant l’accès à des infrastructures sportives notamment au sein des établissements scolaires).
Par ailleurs, le sport est utile à la correction des inégalités, territoriales d’abord (via le développement d’infrastructures régionales), physiques (par l’encouragement du mentoring et des bourses vers les publics vulnérables notamment les filles).
Enfin, la dimension économique du sport n’apparaîtra que si l’on encourage la création d’un marché économique du sport, levier de croissance et de créations d’emplois (via les métiers du sport dans la médecine du sport, marketing, gestion privée d’infrastructures sportives, média sportifs etc) pour les jeunes Africains passionnés de sport.
Rama Yade est l’ancienne secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme puis aux Sports en France et senior fellow au Centre Afrique de l’Atlantic Council.