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Report March 7, 2022

Quel avenir pour le Sahel?

By Richard Cincotta and Stephen Smith

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Un enregistrement du lancement de rapport est disponible ici.

La donne démographique dans la région et ses retombées à l’horizon de 2045 2045

Le Sahel – soit, dans le cadre de cette étude, la région au sud du Sahara qui s’étend du Sénégal au Tchad en y incluant les douze états septentrionaux de la Fédération nigériane appliquant la charia — est dans une impasse démographique. Loin de produire un « dividende », la croissance rapide d’une population dont le profil d’âge est très jeune et dont le taux de fécondité reste très élevé submerge la capacité des états à produire des biens publics en quantité nécessaire. Cette donne démographique ralentit, voire bloque la croissance économique ; elle limite le progrès social et obère l’urbanisation par l’extension des bidonvilles. Au fil des décennies, ces conditions, qui se renforcent mutuellement, ont sapé la légitimité des gouvernements centraux et rendu les états de la région vulnérables à la propagation d’un populisme islamique radical et, plus généralement, à l’instabilité.

La période 2040-2045 est l’horizon temps de cette étude. D’ici à là, du fait du profil d’âge très jeune de leurs populations (quatre sur dix Sahéliens ont moins de quinze ans), les états de la région devront se doter de nouvelles infrastructures, augmenter la productivité agricole et élargir le marché du travail de façon à pouvoir répondre aux besoins pressants de cohortes de jeunes adultes toujours plus nombreuses qui, d’année en année, rivaliseront pour des emplois rémunérateurs au sein d’une main d’œuvre déjà largement sous-employée. En même temps, les gouvernements devront maintenir la sécurité collective. Leurs efforts pour y parvenir, quand bien même ils seraient sous-tendus par la meilleure volonté et une parfaite expertise, ne pourront s’approcher de leurs objectifs qu’à condition de s’attaquer en priorité à l’entrave majeure au développement, à savoir les taux de fertilité persistant à des niveaux très élevés.

S’ils veulent sortir de l’impasse actuelle, les gouvernements sahéliens devront réorienter une partie importante de leurs efforts de développement et moyens financiers vers des politiques et programmes visant à améliorer la condition féminine : en prévenant les mariages et grossesses précoces chez les adolescentes, en promouvant l’éducation des filles et en garantissant la pleine participation des femmes dans tous les secteurs publics et privés, à commencer par les lieux de travail. Car l’amélioration tous azimuts de la condition féminine est la condition sine qua non pour l’avènement de familles de taille plus réduite et aux membres mieux instruits. Or, l’insurrection djihadiste dans la région complique la mise en œuvre, en toute sécurité, de programmes promouvant les femmes, du moins en dehors des grandes villes sous le contrôle des gouvernements ; elle comporte aussi le risque que les bailleurs de fonds extérieurs du développement, notamment l’Union européenne et les États-Unis, se désengagent de la région pour ne plus chercher qu’à contenir de l’extérieur — à l’instar de ce qu’ils font déjà en Somalie — la menace djihadiste et la pression migratoire montante au Sahel.

Un forum de débat associé : perspectives politiques et projets régionaux

Pour prolonger Bette étude et ouvrir le débat à d’autres expertises, initiatives et projets menés dans le Sahel, le Conseil Atlantique a demandé à l’ONG américaine Organizing to Advance Solutions in the Sahel (OASIS), dédiée à l’accélération de la transition démographique dans la région, d’inviter à collaborer des experts ouest-africains en santé publique et en éducation. Dans une série de débats organisés à cette fin, ces professionnels ont confronté leurs idées quant aux mérites des approches politiques actuelles et des projets en cours dans la région, ainsi que des obstacles rencontrés et de leurs recommandations en la matière. Sous le titre « Accélérer la transition démographique », le synopsis de ces consultations est accessible ici. Par ailleurs, une note d’accompagnement d’OASIS dresse le tableau de l’aide internationale en matière de santé reproductive et pour l’éducation des filles dans le Sahel. La version intégrale de cette note, dont les principales informations ont été intégrées dans la présente étude, peut être consultée via le lien que voici.

Photo: Yvonne Etinosa.

Les résultats en un coup d’œil

Le profil d’âge d’une population et la « fenêtre démographique »Pris dans leur ensemble, les pays du Sahel abritent parmi les populations les plus jeunes du monde. Qui plus est, selon la projection moyenne de fécondité de la Division de la population des Nations Unies (ONU), aucun pays sahélien ne devrait atteindre au cours des vingt à vingt-cinq années à venir — soit la période couverte par le présent rapport — la « fenêtre démographique », c’est-à-dire une période propice à la croissance économique et au développement du fait d’un profil d’âge favorable de la population (on parle à ce propos aussi de « dividende démographique »). Au cours des soixante-dix dernières années, c’est dans cette « fenêtre » — qui s’ouvre à partir d’un âge médian d’une population entre 25 et 26 ans — que d’autres pays ont généralement atteint des niveaux de développement moyens supérieurs (correspondant à cette catégorie de revenus, telle que définie par la Banque mondiale, et les niveaux plus élevés d’éducation et de survie des enfants qui y sont associés). D’ici à 2045, seuls la Mauritanie et le Sénégal s’approcheront de cette « fenêtre démographique », à en croire la projection actuelle de l’ONU à faible taux de fécondité — le scénario le plus optimiste de la série standard de la Division de la Population.

La croissance démographiqueLes démographes de l’ONU estiment que la population totale des six états du Sahel est passée de près de 21 millions d’habitants, en 1960, à environ 103 millions en 2020, soit presque un quintuplement en soixante ans. Pour le nord du Nigéria, leurs estimations aboutissent à une trajectoire de croissance similaire, avec près de 78 millions d’habitants en 2020. Les populations combinées des six pays du Sahel et du nord du Nigéria devraient ainsi passer de l’estimation actuelle — 181 millions d’habitants — à une fourchette comprise entre 370 millions et 415 millions d’habitants en 2045. Une grande partie de cette croissance sera le résultat de l’actuel profil d’âge très jeune de ces populations et de l’élan démographique qui en résulte (en anglais, on parle à ce propos de age-structural momentum ou population momentum).

La baisse de la fécondité. Les taux globaux de fécondité de la région varient actuellement entre 4,6 enfants par femme au Sénégal et en Mauritanie et des taux de pré-transition démographique — plus de 6,5 enfants par femme — au Niger et dans les douze états du nord du Nigéria. Dans tout le Sahel, les taux de procréation chez les adolescentes restent extrêmement élevés, et la taille de la famille perçue comme étant « idéale » est généralement égale ou supérieure à la fécondité réalisée. Dans le passé, jusqu’aux séries de données de l’ONU en 2010, les projections de baisse de fécondité de la Division de la Population pour les pays du Sahel se sont toujours avérées trop optimistes. Cependant, des enquêtes locales plus récentes indiquent que la version actuelle de sa projection de fécondité moyenne n’est pas hors de portée. Ce scénario prédit qu’entre 2040 et 2045 la fécondité diminuera pour atteindre entre 4 et 3,4 enfants par femme dans la plupart des états du Sahel, et près de 4,7 au Niger. Il y a déjà des écarts significatifs dans l’utilisation de contraceptifs modernes et entre les modèles de procréation chez les femmes rurales au Sahel et les femmes urbaines plus instruites. Mais ces différences ne sont pas encore aussi prononcées qu’en Afrique de l’Est ou en Afrique australe, où la baisse de la fécondité est plus avancée et se poursuit à un rythme plus rapide.

La santé maternelle et infantile, ainsi que l’éducation des fillesAlors que la mortalité infantile a constamment diminué au Sahel, un enfant sur dix meurt encore avant l’âge de cinq ans au Mali et au Tchad. Par ailleurs, selon des estimations récentes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 40 pour cent des enfants de moins de cinq ans présentent un retard de croissance au Niger et au Tchad. Toujours selon l’OMS, le taux de mortalité maternelle au Tchad est le deuxième plus élevé du monde, tandis que la Mauritanie, le Mali et le Niger figurent parmi les vingt pays de la planète où la grossesse et l’accouchement sont les plus dangereux. Au Tchad et au Niger, seule une fille sur cinq en âge de l’être est en réalité inscrite dans un établissement d’enseignement secondaire ; ailleurs dans la région, le taux net de scolarisation des filles ne dépasse pas 40 pour cent dans le secondaire. Partout, les mariages d’adolescentes restent le principal obstacle à l’augmentation de leur niveau d’éducation.

L’autonomie et les droits des femmesEn dépit des conseils prodigués par des professionnels locaux de la santé et les exhortations des agences de l’ONU, les gouvernements sahéliens successifs n’ont, jusqu’à présent, pris aucune disposition effective pour faire appliquer les lois déjà existantes qui permettraient de réduire les mariages d’adolescentes, d’éliminer l’excision, de protéger les femmes contre les mariages forcés, de restreindre la polygamie ou, encore, de donner aux femmes des droits égaux de succession et la garde de leurs enfants en cas de séparation conjugale ou de veuvage. Alors que les défenseurs des droits des femmes considèrent que ces mesures sont indispensables pour faire évoluer les préférences vers des familles plus restreintes et mieux éduquées, les dirigeants craignent un retour de flamme politique. L’ampleur de la résistance organisée — comme, par exemple, lors des manifestations d’organisations islamiques au Mali en 2009, qui ont fait reculer les droits des femmes — a même convaincu certains professionnels du développement que, dans plusieurs états du Sahel, la seule voie de changement actuellement ouverte passe, à moyen terme, par un soutien financier accru à l’éducation des filles, aux réseaux des soins de santé pour les femmes et aux organisations de la société civile qui luttent pour l’égalité des femmes.

L’agricultureMalgré le changement climatique, la hausse des températures locales et le récent ralentissement de l’expansion des terres cultivées, la croissance de la production céréalière a, depuis 1990, dépassé le rythme de la croissance démographique dans la région, qui est de l’ordre de 3 pour cent par an. Cependant, en raison de récoltes erratiques sur des terres exploitées de façon peu productive, de conflits armés et d’un grand nombre de personnes déplacées, les états de la région sont restés tributaires d’une aide alimentaire importante. Alors que l’irrigation par les eaux souterraines est susceptible de prendre de l’ampleur, les effets combinés de la croissance démographique future, du réchauffement climatique continu, de l’insurrection persistante et de la sécheresse périodique dans le Sahel rendent l’autosuffisance alimentaire très improbable dans un avenir prévisible.

Le pastoralisme. Après trois décennies d’augmentation relativement régulière des précipitations dans certaines parties de la région, le nombre de têtes de bétail (ajusté en fonction des différences de taille des espèces) a considérablement augmenté depuis les années 1990. Pourtant, les zones de pâturage les plus productives ont diminué parce qu’elles ont aussi été mises à contribution par des populations croissantes d’agriculteurs dans les zones plus arides. En même temps, le nombre des détenteurs de droits de pâturage a été multiplié et la végétation des zones convoitées s’est sensiblement dégradée, au point où la moins bonne qualité du fourrage a précipité le passage des bovins aux moutons et aux chèvres. Dans tout le Sahel, les agro-écologistes ont noté l’émergence de ce qu’ils appellent des systèmes de production « néo-pastoraux », lesquels se caractérisent par de riches propriétaires de grands troupeaux absents du terrain, la prolifération d’armes légères mais sophistiquées et, sur place, une sous-classe pastorale paupérisée et politiquement marginalisée qui est de plus en plus vulnérable à la radicalisation.

La sécuritéDepuis 2009, le Sahel fait face à des insurrections islamistes en pleine expansion. Cette tendance est susceptible de s’aggraver étant donné qu’aucun état de la région ne devrait atteindre, d’ici à 2045, la « fenêtre démographique » qui, selon les modèles fondés sur l’analyse du profil d’âge d’une population, inaugure une baisse substantielle du risque de conflits non-territoriaux (ou révolutionnaires) persistants. D’après ces modèles, les conflits en cours au Mali, Burkina Faso et Niger, ainsi qu’au Tchad et dans le nord du Nigéria sont ainsi statistiquement susceptibles de se poursuivre, à un certain niveau, pendant les vingt-cinq années à venir. Ce qui retardera d’autant l’amélioration de la condition féminine dans la mesure où, contrairement aux insurrections d’inspiration marxiste dans l’Asie du Sud-Est et en Amérique latine au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la présence djihadiste dans les zones rurales du Sahel limite les progrès de l’éducation des femmes, leur autonomie et la fourniture de services de planification familiale..

L’urbanisationDans les six pays francophones du Sahel, la population urbaine — en croissance rapide — représente actuellement environ un tiers de la population et devrait s’approcher de la moitié d’ici à 2045. Les investissements dans le logement ont permis de réduire sensiblement la proportion des personnes vivant dans des bidonvilles, mais ces efforts ont été dépassés par une croissance urbaine telle qu’en chiffres absolus, la population des bidonvilles dans la région a presque doublé depuis 1990. À mesure que les opportunités génératrices de revenus se font rares dans les secteurs de l’agriculture et de l’élevage, les espoirs des hommes jeunes reposent sur le marché du travail urbain et les possibilités d’éducation susceptibles de les rendre aptes à l’emploi. Toutefois, l’emploi dans le secteur formel de l’économie demeurera l’exception rare dans la région, et l’urbanisation rapide continue ne manquera pas de poser de nouveaux problèmes de logement, d’accès à l’eau potable et à l’énergie, d’assainissement, de santé publique et de sécurité. Pour relever ces défis, les gouvernements locaux et les bailleurs de fonds étrangers devraient investir massivement dans l’aménagement urbain afin de stimuler les transitions vers une plus grande autonomie des femmes et vers des familles plus réduites, mieux nourries et mieux éduquées. Ce faisant, ils ouvriraient aussi de meilleures perspectives pour trouver un emploi en ville.

La migrationEntre 1990 et 2015, plus de 80 pour cent des flux migratoires à partir des six pays francophones du Sahel ont abouti au-delà des frontières de la région. Au cours de cette période, six migrants sur dix ayant quitté le Sahel se sont installés ailleurs en Afrique, alors que les quatre autres sont partis en Europe, en Amérique du Nord ou vers d’autres destinations. Le Sénégal et le Nigéria ont été les principales portes de sortie vers l’Europe et l’Amérique du Nord. À ces flux migratoires se sont ajoutés, dans la période 2015-2020, d’importants flux de réfugiés du fait de l’escalade des conflits dans le bassin du lac Tchad ainsi qu’au Mali, Niger et Burkina Faso. Pour les jeunes Sahéliens réduits à la précarité aussi bien dans les zones rurales pratiquant l’agriculture de subsistance que dans des bidonvilles, la sécheresse épisodique, les conflits persistants et les difficultés économiques durables représentent des facteurs d’incitation au départ. Dans cette partie aride et peu développée du monde, la taille de la population est importante au regard des ressources disponibles — d’où une pénurie de facteurs d’attraction pour rester sur place. La croissance démographique ne cesse de grossir les rangs des personnes dont les moyens de subsistance sont marginaux et qui pourraient être poussées à partir en cas de désastres naturels ou politiques pour aller chercher de meilleures opportunités ailleurs.

Modèles d’une transition accélérée

Ce rapport met en exergue les voices empruntées par trois états qui, par des politiques et programmes non-coercitifs, ont réussi à accélérer leur transition démographique en baissant leur taux de fécondité et en transformant le profil d’âge de leurs populations: la Tunisie, le Botswana et le Bangladesh. Bien que ces pays diffèrent géographiquement, culturellement et économiquement des pays sahéliens, les points de départ démographiques étaient similaires et sont comparables avec la situation actuelle dans les pays sahéliens. En effet, dans les trois états cités en exemple, l’âge médian de la population était inférieur à vingt ans (ce qui correspond à une pyramide d’âge très élargie à la base) et l’indicateur synthétique de fécondité se situait entre six et sept enfants par femme. Par ailleurs, mention est également faite des politiques et programmes en cours pour changer la donne démographique en Éthiopie, au Rwanda, au Kenya et au Malawi.

La TunisieDans ce pays d’Afrique du Nord, la sortie accélérée de la transition démographique doit beau- coup au leadership inspiré de Habib Bourguiba, le pre- mier président de la Tunisie. Il a fait passer un ensemble de réformes favorables aux femmes, notamment des lois obligeant les parents à envoyer leurs filles à l’école, relevant l’âge légal du mariage, interdisant le port du voile et la polygamie, réduisant le pouvoir des imams locaux, autorisant les femmes à travailler en dehors de leur foyer, leur donnant plein droit à l’héritage, faisant du divorce un processus judiciaire et mettant en place dans tout le pays des centres de planification familiale volontaire.

Botswana. D’emblée, le professionnalisme des soins mis à disposition et leur coût abordable ont été les éléments-clés de l’effort de ce pays en matière de santé reproductive. Proposés gratuitement depuis 1970, les services de planification familiale ont été intégrés aux soins de santé maternelle et infantile dans tous les établissements de santé primaire locaux. En outre, le Botswana est l’un des rares pays d’Afrique subsaharienne où le taux de scolarisation des filles dans l’enseignement secondaire dépasse celui des garçons. Le Botswana a partagé avec les pays du Sahel le défi initial des taux élevés de mariages et de grossesses précoces. Mais sa bonne gouvernance et son utilisation judicieuse de ses rentes minières (diamantifère, notamment) le distingue de la plupart des pays du continent.

Le BangladeshLa remarquable transformation démographique de ce pays est due à une administration sanitaire dévouée. Celle-ci a su mobiliser des dizaines de milliers d’agents de santé communautaires et de bénévoles en faisant équipe avec une organisation non-gouvernementale locale, le Comité pour le Progrès Rural au Bangladesh (BRAC). Elle a également utilisé à bon escient les fonds d’aide et les produits de santé apportés par les donateurs étrangers. Lancée en 1975, cette approche, soutenue par une campagne de communication en matière de santé publique à l’échelle du pays, a contribué à déclencher la demande de nouvelles méthodes de contraception à long terme (par exemple, des injectables et des implants), l’élargissement au niveau national du programme des travailleurs de village et la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement en matière de santé publique.

Programmes ailleurs en Afrique. Forts du soutien de leurs dirigeants politiques et en s’inspirant des expériences en Asie et en Amérique latine, les programmes de santé reproductive en Éthiopie, au Rwanda, au Kenya et au Malawi ont gagné une grande visibilité et des soutiens importants de la part des bailleurs de fonds étrangers. Au cours des trois dernières décennies, une meilleure attention prêtée à l’éducation des filles, les efforts organisés pour accroître les droits des femmes en matière de procréation et leur participation politique, de même qu’une communication efficace en matière de santé publique, ont amélioré l’efficacité de ces programmes ciblant, à la fois, la santé maternelle et infantile ainsi que la planification familiale. Toutefois, d’importants problèmes de prestation de services et d’acceptation des contraceptifs modernes subsistent dans chacun de ces pays où les taux d’abandon de la contraception sont élevés et les écarts dans l’utilisation des contraceptifs restent grands entre les ménages ruraux à faible revenu et les familles urbaines plus riches.

Photo: Doug Linstedt.

Scénarios

Dans des situations de crise et d’incertitude, bâtir des scénarios d’avenir aide à réduire le champ des possibles et à déceler des éventualités peu visibles qui pourraient prendre les décideurs au dépourvu. Ces futurs fictifs permettent aux analystes de s’écarter des trajectoires d’événements les plus attendus et d’explorer d’autres possibilités sans avoir à imaginer des discontinuités ou à expliquer des enchaînements d’événements complexes qui, au cours de l’histoire, ont parfois conduit à des surprises. Dans un souci didactique de concision, notre étude présentera les trois scénarios suivants sous la forme de dépêches d’agence de presse (évidemment fictives mais plausibles), des coups de projecteur sur la situation du Sahel au début des années 2040

Du pareil au même. Lors d’un sommet interrégional tenu en 2043, l’Union Européenne (UE) et l’organisation des états sahéliens conviennent d’une nouvelle convention quinquennale sur la migration. L’accord contrôle et limite les flux de migrants en provenance et à travers le Sahel en échange d’une forte augmentation de l’aide financière de l’UE à la région. Ce scénario repose sur l’hypothèse que les inscriptions des filles à l’école ont continué à augmenter dans le Sahel et que l’utilisation de contraceptifs modernes y a lentement progressé en s’étendant des zones urbaines en plein essor aux villes de province, puis dans les villages. Cependant, les gouvernements n’ont guère mené d’actions soutenues pour renforcer les droits des femmes ou atténuer l’ordre patriarcal, qui tolère, entre autres, les mariages et grossesses précoces. En même temps, au nom d’une gouvernance islamique, les états du Sahel ont institué des compléments de revenu en espèces pour les mères à la maison, à la fois pour maintenir les femmes au foyer et pour leur offrir une relative indépendance financière. Par ailleurs, ces états ont mis en commun leurs ressources militaires afin de mieux contenir les groupes djihadistes, qui sont restés actifs, notamment, dans les zones rurales du Sahel.

La percée. Également en 2043, un sommet des états sahéliens regroupés au sein du G7 Sahel débat, sur la base d’un rapport parrainé par l’ONU, du retour- nement de situation en matière de santé reproductive dans plusieurs de ses pays membres et des progrès significatifs enregistrés dans d’autres. Un représentant local du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) présente les résultats d’une grande enquête démographique et sanitaire. Il en ressort qu’au Sénégal et au Burkina Faso, l’indicateur synthétique de fécondité est passé sous la barre des trois enfants par femme, et que même le Niger semble emboîter le pas à la région dans sa marche vers une baisse de la fécondité. Des enquêtes locales menées dans plusieurs grandes villes du Sahel révèlent que la fécondité y est déjà proche du seuil de remplacement de deux enfants par femme et que l’afflux dans les maternités, ainsi que la taille des classes d’école, ont considérablement diminué. Mais, du fait de l’accroissement continu de la population (dû à l’élan démographique qui résulte de son profil d’âge très jeune), de la hausse des températures, de mauvaises récoltes périodiques et de la violence sporadique des djihadistes, les importations de céréales et l’aide alimentaire restent des éléments essentiels pour la sécurité alimentaire au Sahel.

Le décrochage. Lors d’une session du Conseil de sécurité de l’ONU en 2043, le Représentant spécial pour le Sahel du Secrétaire général appelle à une action internationale d’urgence pour faire face à une crise multiforme dans la région. Il décrit la faillite de plusieurs états sahéliens et les luttes territoriales entre seigneurs de la guerre. Il cite notamment la détérioration des conditions de sécurité dans le pays haoussa tant au Nigéria qu’au Niger, où des groupes djihadistes prophétiques ont proliféré et, dans certains cas, assis leur autorité politique. Il relève également que les aérodromes dans le Sahel sont devenus des plaques tournantes pour toutes sortes de trafics, y compris d’êtres humains. Il interpelle le Conseil de sécurité au sujet du Niger en proie à une famine d’une ampleur comparable à celle, catastrophique, du début des années 1980. Or, cette fois, ce pays doit nourrir une population de près de soixante millions d’habitants, au lieu des 7 millions à l’époque. Ce défi est d’autant plus grand que la porte d’entrée régionale qu’est le Sénégal pour l’aide alimentaire et d’autres formes d’assistance humanitaire est tout juste entr’ouverte, le gouvernement sénégalais n’étant guère coopératif, pas plus pour l’acheminement de secours que dans la lutte contre la migration illégale vers l’Europe.

Recommandations

Pour les donators d’aide internationale au Sahel, cette étude contient une recommandation d’ordre général: au cours des vingt à vingt-cinq années à venir, les transitions démographiques dans la région devraient comporter au moins une ou deux réussites exemplaires pouvant servir de réservoir d’expertise locale et de modèles pour la mobilisation communautaire susceptibles de se propager ailleurs. Le Sénégal semble être le meilleur candidat à l’accueil d’un tel effort concerté. Parmi les pays enclavés du Sahel, c’est peut-être encore le cas du Burkina Faso, à condition que ses zones rurales retrouvent paix et sécurité. Au Niger, au Mali et au Tchad, les interventions les plus efficaces seront sans doute celles qui améliorent la situation des femmes, développent à grande échelle les infrastructures dans les villes et forment des agents de santé suffisamment dévoués pour qu’ils acceptent de travailler dans les périphéries urbaines et les camps de réfugiés où les demandes d’éducation, de planification familiale et d’autres services de santé reproductive sont généralement élevées. Voici aussi les recommandations plus spécifiques de notre étude:

Mettre à profit l’urbanisation. Les gouvernements de la région devront redoubler d’efforts pour améliorer le niveau d’éduca- tion des filles et, avec le concours des bailleurs de fonds étrangers, augmenter considérablement les dépenses consacrées à la planning familial et aux autres services de santé reproductive. Ils devront par ailleurs élever le statut administratif de la planification familiale au rang de responsabilité ministérielle et renforcer sa visibil- ité par des campagnes d’information. De surcroît, les administrations chargées de l’éducation nationale et Dans ces villes en expansion, il sera également impératif que l’éducation des filles et la planification familiale sur une base volontaire, ainsi que des services de santé maternelle et infantile, se mettent en place, et que les femmes y aient un accès de plein droit aux emplois, tant dans le secteur privé que public.

Renforcer l’éducation des filles et la planification familialeLes gouvernements de la région devront redoubler d’efforts pour améliorer le niveau d’éduca- tion des filles et, avec le concours des bailleurs de fonds étrangers, augmenter considérablement les dépenses consacrées à la planning familial et aux autres services de santé reproductive. Ils devront par ailleurs élever le statut administratif de la planification familiale au rang de responsabilité ministérielle et renforcer sa visibil- ité par des campagnes d’information. De surcroît, les administrations chargées de l’éducation nationale et de la santé publique devraient éliminer les obstacles bureaucratiques, traditionnels et religieux à la scolarisa- tion des filles et permettre un accès facile et abordable aux services de planification familiale aux personnes mariées aussi bien que célibataires. La mise à dispo- sition de ces services devrait être décentralisée pour être accessible dans les quartiers urbains comme dans les foyers ruraux ; à ce titre, des agents de santé villa- geois et des cliniques mobiles paraissent particulière- ment bien adaptés aux conditions sahéliennes. Il serait également utile que des organisations professionnelles de la santé créent une bibliothèque en ligne pour ren- dre accessibles des exemples de réussite locales dans les domaines de l’éducation des filles — leur éducation sexuelle et en matière de santé reproductive — et du planning familial.

Travailler avec des chefs religieux et politiques, ainsi que d’autres personnalités publiques; impliquer et informer les hommes. L’utilisation plus générale de contraceptifs modernes est souvent liée à des prises de position publiques de la part de chefs religieux, qui jugent le planning familial compatible avec la foi. Par ailleurs, des études récentes accréditent l’idée que les programmes qui informent et impliquent les hommes et s’appuient sur le soutien de dirigeants locaux ont les plus grandes chances de réussite dans le Sahel. Enfin, depuis des décennies, les communicants de la santé y travaillent déjà avec des producteurs de télévision et de radio, ainsi qu’avec des artistes — en particulier des acteurs connus de feuilletons ou talk-shows populaires — pour mieux diffuser des messages de service public concernant la santé maternelle et infantile, la nutrition, l’éducation sexuelle, le VIH/Sida, les droits des femmes ou le planning familial.

Renforcer les droits des femmes. Dans le Sahel, de grands progrès peuvent être accomplis en protégeant les filles et les femmes contre de multiples formes de discrimination et de violence, et en renforçant leurs droits dans le cadre du mariage. Cet effort commence par l’application des lois nationales déjà existantes, qui interdisent l’excision, les mariages forcés et le mariage précoce, avant l’âge de dix-huit ans. Une fois mariées, les femmes devraient avoir le droit d’obtenir un recours contre la violence conjugale, de demander le divorce et de se voir confier la garde des enfants en cas de séparation, de divorce ou de décès du conjoint. Les femmes devraient aussi jouir d’un plein droit de recours en justice et d’un traitement égal devant les tribunaux aux affaires familiales gérés par l’État ; elles ne devraient pas rester tributaires des jugements rendus par des tribunaux religieux et traditionnels, qui n’ont généralement pas su les protéger, pas plus que leurs enfants, contre des préjudices physiques, psychologiques et économiques. Là où la résistance politique a fait reculer les efforts législatifs visant à accroître les droits des femmes (comme, par exemple, au Mali, comme déjà indiqué), le soutien qui est leur apporté par des coopératives ou des organisations professionnelles ou éducatives peut ouvrir des voies alternatives aux femmes sahéliennes pour accéder à une plus grande autonomie et à des fonctions dirigeantes.

Apporter des services aux minorités marginalisées. Les ministères de la santé et de l’édu- cation devraient veiller à ce que les minorités marginalisées, quel que soit leur isolement géo- graphique ou culturel, bénéficient de leurs pro- grammes de planning familial ou en faveur d’une meilleure éducation des filles et du renforce- ment des droits des femmes. Les expériences antérieures dans d’autres parties du monde portent à croire que les disparités régionales, socio-économiques, ethniques ou de caste en matière de fécondité tendent à se solidifier en des inégalités difficiles à effacer et génératrices d’animosités et de tensions politiques.

Promouvoir des efforts au bénéfice des femmes dans tous les projets de développement ou d’équipementQu’ils soient gouvernementaux, privés ou financés par des bail- leurs de fonds étrangers, tous les projets de développement ou d’équipement au Sahel, dans le domaine agricole ou d’autres secteurs économiques, devraient contenir des clauses pour promouvoir une meilleure instruction des filles et des femmes, pour leur aménager un accès plus facile aux services de santé reproductive et pour renforcer leurs droits et leur indépendance financière. Aucun projet soutenu par des donateurs internationaux ne devrait permettre aux pouvoirs publics, partis politiques ou chefs religieux ou traditionnels d’entraver l’émancipation des femmes.

Gérer les tensions autour du partage des res- sources entre agriculteurs et pasteursDans une région aride de plus en plus peuplée, l’avenir des moyens de subsistance agricoles et pastoraux dépendra du développement de l’irrigation, de l’intensification de l’agropastoralisme (soit une intégration plus poussée des utilisations agricoles et pastorales des terres) et de l’accès aux marchés urbains. En vue de ce futur plus peuplé, les gouvernements sahéliens devraient limiter le nombre des grands propriétaires de troupeaux de bétail ne résidant pas sur leurs terres de pâturage, protéger les pâturages de l’empiètement par des agriculteurs et aider les éleveurs à lutter contre le vol de bétail. En parallèle, les pouvoirs publics devraient favoriser l’industrie agro-alimentaire de transformation génératrice de valeur ajoutée, promouvoir la coopération entre agriculteurs et éleveurs et améliorer les moyens de transport et voies d’accès aux marchés urbains.

Protéger les acquis du développement par des investissements dans la sécurité locale. Des groupes djihadistes tendent à se multiplier dans le Sahel et à étendre leur emprise. De ce fait, les poches géographiques où des responsables locaux et une majorité de la population soutiennent l’éducation des filles et le renforcement des droits des femmes deviennent les cibles de choix des militants armés. Aussi, ces communautés locales et leurs dirigeants devraient-ils bénéficier d’une protection spéciale par la police ou les unités antiterroristes.

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Report

Nov 4, 2021

What future for the Western Sahel?

By Richard Cincotta and Stephen Smith

The Western Sahel is in a demographic impasse. To work their way out of this dilemma, Sahelian governments must shift a significant part of their development focus and funding to policies and programs aimed at preventing adolescent marriages and childbearing, promoting girls’ education, securing women’s participation in public- and private-sector workplaces, and achieving small, healthy, well-educated families.

Africa Energy & Environment

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Related Experts: Mathew Burrows and Julian Mueller-Kaler